Roissy, le carrefour de tous les dangers

Publié le par Michel

Roissy, le carrefour de tous les dangers

Après des années de déni, les mentalités évoluent dans le monde du travail. Si personne ne remet en cause la liberté de croyance religieuse, tant qu’elle n’interfère pas dans la bonne marche des sociétés, bien des patrons ou responsables de ressources humaines s’interrogent sur les dangers grandissants de la radicalisation dans leurs rangs. « Généralement, les salariés rejettent de plus en plus ce qui est lié à la manifestation religieuse sur le lieu de travail », constate Guy Trolliet, consultant sur les questions touchant à la religion en entreprise et islamologue. « Mais qu’est-ce qui se fait concrètement ? Rien pour l’instant. C’est comme une maladie, qui se développe avec le temps. Or il existe des mouvements qui ont un agenda caché et profitent de cette situation ». La question est de savoir si au sein des sociétés, certaines ne se montrent pas trop accommodantes, au nom de la paix sociale, vis-à-vis de ce que l’on appelle pudiquement le « fait religieux ». En cette période de plan Vigipirate poussé à son cran maximal, un lieu semble être le carrefour de tous les dangers : la plate-forme aéroportuaire de Roissy. Avec son grand nombre de professions, d’opérateurs différents et leur kyrielle de sous-traitants (90.000 emplois tout compris), garantir une sûreté maximale est un vrai défi. N’y a-t-il pas dans les nombreux terminaux des nouveaux radicalisés passant sous les radars des services spécialisés? « Le système, je le crois robuste et capable de repérer les profils à risque. Dans la période récente, on a considérablement durci les processus », estime Alain Zabulon, directeur de la sûreté et du management des risques d’Aéroports de Paris (ADP). Le principal point critique est celui de l’accès aux « zones réservées » (pistes, tri bagages, etc.), matérialisé par un badge rouge qui fait l’objet d’un examen minutieux des services de l’Etat. Courant 2015, une cinquantaine de candidats à l’embauche n’ont pas décroché le précieux sésame (pour 86.000 badges accordés) et, « depuis le début de l’année, il y a 57 personnes qui ont perdu leur autorisation [de travailler à CDG] du fait de radicalisation. Il y en a eu cinq depuis les attentats, il y en a d’autres qui vont venir », a déclaré vendredi le préfet délégué pour la sécurité des aéroports de Roissy et du Bourget, Philippe Riffaut, ajoutant que « le non-respect de l'égalité homme-femme » sera intégré dans « l’appréciation de la radicalisation » des personnels. Des ingrédients « historiques » A écouter un proche du préfet délégué, on comprend mieux à quel point divers ingrédients « historiques » ont sécrété de véritables failles en matière de sécurité. « Il y a d’abord la culture du recrutement sur le bassin local de Seine-Saint-Denis, caractérisée par une longue période de cooptation sur la plate-forme. Ici, il y a plein de fratries », explique cette source. Plus inattendus, les effets pervers de la loi de 2008 sur la représentativité syndicale : « Les radicaux ont très bien compris l’intérêt de devenir des salariés protégés, et l’on a vu apparaître ainsi des syndicats ethnicisés. Avec cette loi, des associations d’aide aux musulmans, basées aux environs, se sont érigées en syndicats... », s’étonne encore ce fonctionnaire. Troisième point potentiellement critique : le code du travail veut qu’une entreprise remportant un appel d’offres, par exemple pour l’inspection-filtrage ou la restauration d’un hall, reprenne les salariés du prestataire concurrent, sans pouvoir choisir ses propres employés. Chez Air France, on compte sur la mobilisation constante des salariés et sur « l’autosurveillance », mais le dispositif n’est jamais parfait, et les obstacles multiples. « Juridiquement, nous ne pouvons pas contraindre le personnel à nous informer. Détecter les phénomènes radicaux, pourquoi pas, mais encore faudrait-il en avoir les moyens juridiques », relatait cette année le directeur de la sûreté d’Air France, Gilles Leclair, lors d’une audition à l’Assemblée nationale. « Les tribunaux administratifs nous ont souvent déboutés lorsque nous refusions d’accréditer des personnes au passé douteux. J’ai perdu devant la cour d’appel de Marseille, lorsque j’étais préfet de Corse, parce que je ne souhaitais pas qu’un ex-braqueur, ancien du FLNC, devienne bagagiste »... D’ailleurs, raconte un autre cadre de la compagnie nationale, le retrait du badge d’un salarié par la préfecture n’est pas nécessairement le mot de la fin : «Il peut certes y avoir le licenciement pour “fait du prince”, mais parfois la CGT va défendre un reclassement en interne en zone non protégée... » Dans les aéroports parisiens, les dérives potentielles de la radicalisation sont connues depuis déjà longtemps. Dès 2006, dans un brûlot titré « les mosquées de Roissy », citant des rapports des RG, Philippe de Villiers tirait à boulets rouges sur le « noyautage des syndicats par les islamistes » et les salles de prière clandestines. Et de citer la filière de recrutement de Ghazaouet, une petite ville près d’Oran (Algérie) dont les natifs étaient étonnamment nombreux au sein de CBS, une des entreprises chargées d’installer les bagages dans les avions.

Denis Fainsilber Chef de service adjoint Les Echos.fr

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